PROLOGUE
Assassinée. Elle avait les cheveux noirs. Les yeux aussi.
C’est arrivé sur la Cinquième Avenue, dans une élégante boutique de vêtements, en pleine confusion, dans la bousculade. L’hystérie quand elle est tombée… peut-être.
Je l’ai vue à la télévision, sans le son. Je la connaissais. Oui, elle avait été dans ma classe. Esther Belkin. Riche et ravissante.
Son père dirigeait un « temple mondial ». Platitudes et T-shirts ésotériques. Les Belkin avaient tout l’argent dont on peut rêver, et maintenant cette jeune fille en fleur qui posait toujours ses questions si timidement, Esther, était morte.
Au journal télévisé, en direct, il me semble bien que je l’ai vue mourir. Je lisais un livre, sans faire bien attention. Les nouvelles défilaient en silence, mêlant guerres et stars de cinéma. L’écran projetait de lents reflets électriques sur les murs. Les soubresauts et les éclats d’une télévision que personne ne regarde. Après sa mort en direct, j’ai poursuivi ma lecture.
Dans les jours qui ont suivi, il m’est arrivé plusieurs fois de penser à elle. Sa mort a été suivie d’horreurs sur son père et son Église électronique. Le sang a encore coulé.
Le père, je ne l’ai jamais connu. Ses disciples étaient un ramassis de minables.
Mais je me rappelais assez bien Esther. Elle voulait tout savoir, elle était de ces êtres bons, humbles, toujours à l’écoute et si gentille. Oh oui, je m’en souvenais. Bien sûr. Quelle ironie, le meurtre de cette biche, puis les tragiques illusions du père.
Je n’ai jamais cherché à comprendre toute l’histoire.
Je l’ai oubliée. Oublié qu’elle avait été assassinée. Oublié le père. Oublié jusqu’à son existence.
Les informations s’enchaînaient les unes après les autres.
Puis vint le moment d’interrompre quelque temps l’enseignement.
Je suis parti pour écrire mon livre. Dans les montagnes. Dans la neige. Je n’avais pas offert une seule prière à la mémoire d’Esther Belkin, mais je suis un historien et non un homme qui prie.
C’est à la montagne que j’ai tout appris. Sa mort m’a suivi, prenant tout son sens à travers les mots d’un autre.